Michel Turco répond au questions sur moto revue:
Euromotors : Quand pensez-vous (ou savez-vous?) que Kawasaki et Suzuki vont revenir en MotoGP ? Et avec quel matériel ?
Michel Turco : Suzuki devrait revenir en 2014 avec une moto officielle que pourrait développer l’an prochain Randy de Puniet, ou Alvaro Bautista qui est également sur les rangs. Pour ce qui est de Kawasaki, aucun retour en MotoGP ne semble pour l’instant à l’ordre du jour.
Guillaume : Pourquoi ce retour en arrière de Ben Spies ? Rester en MotoGP alors qu'il était prêt à signer avec BMW en superbike ?
M. T. : Le volte-face de Spies est effectivement curieux. Après avoir expliqué au mois de juillet que le MotoGP ne le méritait pas et qu’il retournerait en Superbike s’il décidait de prolonger sa carrière, le Texan a finalement choisi d’accepter l’offre de Ducati pour rouler dans la structure Pramac. On peut penser que l’offre italienne était supérieure à celle de BMW… Spies a dit qu’il avait fait ce choix parce qu’il craignait de regretter plus tard d’avoir quitter trop tôt les Grands Prix. On peut aussi penser qu’il rêve de faire mieux que Rossi, l’homme qui l’a déboulonné de chez Yamaha, au guidon de la Desmosedici.
Olivier : Peut on imaginer que Randy De Puniet progresse? Rossi est plutôt à l'aise sur les circuits de fin de saison. Terminera t il avec Ducati avec un baroud d’honneur ? Pedrosa a-t-il le potentiel pour rattraper Lorenzo, pour rester devant Stoner ?
M. T. : A bientôt 32 ans, Randy de Puniet serait plutôt sur la crête de sa courbe de progression que sur la phase ascendante. Pour ce qui est de Rossi, il aura du mal à faire mieux qu’à Misano. On peut toutefois espérer qu’il finisse la saison à un meilleur niveau grâce aux évolutions qu’il a récemment récupérées pour sa Ducati. Pour rattraper Lorenzo, Pedrosa n’a d’autre solution que d’espérer un faux pas du leader du championnat qui le précède de 39 points. Il ne reste en effet plus que cinq courses au programme. Il ne devrait en revanche avoir aucun mal à rester devant Stoner qui, au mieux, reprendra le guidon de sa Honda au Japon, et pour qui l’enchaînement de trois courses en trois semaines risque de ne pas être une sinécure.
Georges : Comment un top pilote de la trempe de Stoner peut-il conserver la motivation et donc exprimer le meilleur de lui-même sur moins de 60 minutes de courses alors qu'il sait que son avenir proche se réalisera en dehors des Grands Prix très prochainement? Les autres pilotes susceptibles de lui disputer le titre (et les prochains qui arrivent tel Bradl) n'ont-ils pas une petite frustration enfouie en eux de ne pouvoir battre le fer avec ce phénomène les saisons prochaines ? Enfin, et là je sors du domaine du sport, comment le monde des GP à très haut niveau va affronter cette crise économique qui se transforme peu à peu en crise des valeurs ? Les sports mécaniques ne voient-ils pas leur image se ternir, (la futilité de la course au dixième ou centième de seconde) alors que des pays où le sport moto est très populaire (Espagne, Italie par exemple) s'enfoncent petit à petit ? Ce modèle économique n'est-il pas en train d'évoluer plus vite que ce qu'ont prévu ses géniteurs ?
M. T. : Là, ce n’est plus une question mais un sujet de dissertation ! Commençons par Stoner. Le garçon a prouvé, jusqu’à sa blessure, qu’il était toujours aussi motivé pour battre ses petits camarades. En revanche, il est vraisemblable que sa décision de s’arrêter en fin d’année ne l’a pas aidé à rester concentré. L’an dernier, il n’était pratiquement jamais tombé alors que cette saison on l’a vu aller à la faute à plusieurs reprises. Que Stoner s’en aille va bien évidemment priver ses adversaires d’un challenge exaltant, notamment Lorenzo et Pedrosa. Mais pour ce qui est de Bradl ou Crutchlow, aller chatouiller les deux Espagnols fait déjà figure d’un sacré défi. L’image des sports mécaniques ? Ecornée en France depuis un bon moment, elle est toujours positive en Espagne et en Italie où, culturellement, la passion demeure malgré les difficultés économiques. Par ailleurs, je ne pense pas que le football, sport n°1 en Italie, en Espagne et ailleurs, véhicule une image plus en adéquation avec la crise des valeurs dont souffre notre société. Pour en revenir aux sports mécaniques, on peut, en revanche, penser que sur le long terme, les préoccupations sociétales et environnementales ne les pousseront sur le devant de la scène dans ces deux pays comme dans le reste de l’Europe. A moins que ces compétitions parviennent à valoriser de nouvelles technologies plus en rapport avec la survie de l’humanité.
Hervé : Pourquoi ne parle t-on pas des salaires des pilotes ? Tout cela me paraît très opaque comparé au football. Comme cela, nous verrions peut-être pourquoi certains pilotes bourrés de talent, vont bousiller leur carrière, comme un ancien pilote français de F1 il y a quelques années…
M. T. : Il est effectivement bien difficile se savoir combien gagnent les uns et les autres. Peut-être est-il plus facile de connaître le salaire des footballeurs car les clubs sont des entreprises dont les comptes peuvent être rendus publics ? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, seuls les pilotes d’usine gagnent encore très bien leur vie. On le voit en Moto2 et en Moto3, de nombreux pilotes sont même obligés d’amener de l’argent pour pouvoir courir. Les plus chanceux peuvent gagner leur vie en profitant de leurs contrats avec les équipementiers ou leurs sponsors personnels.
Emmanuel : En conditions pluvieuses ou humides, peut-on estimer la perte de puissance due à l'intervention plus fréquente de "l'électronique" ? À combien se chiffre l'écart au tour entre "dry race" et "wet race" ?
M. T. : Effectivement, sur une piste détrempée, l’électronique des MotoGP limite leur puissance afin d’optimiser la motricité. Sur un tour chrono, il peut ne pas y avoir un monde entre des slicks et des pneus pluie. En revanche, en course, avec la détérioration des gommes, cet écart est plus important et peut aller de dix à vingt secondes au tour en fonction de la longueur du circuit et de l’état de la piste.
Jean-Loup : Je ne vois vraiment pas quel est l’intérêt pour Yamaha de résigner Rossi en fin de carrière. Est-ce pour l’image ?
M. T. : Récupérer Rossi va effectivement permettre à Yamaha de faire du nonuple champion du monde son plus bel ambassadeur. Outre le fait de faire vendre des motos, Valentino peut aussi encore ramener quelques victoires au constructeur japonais.
Daniel : Dans quelle équipe Johann Zarco a-t-il le plus de chances de signer pour la saison prochaine afin de viser les podiums ?
M. T. : Johann est sur le point de signer avec le team Marc VDS où il pilotera une Kalex au côté de Scott Redding.
Franck : Comment ont évolué les rapports entre Lorenzo et Rossi depuis deux ans et y aura t-il encore un mur entre les deux équipes techniques ?
M. T. : Le temps a passé, l’un a pris de la bouteille et marche aujourd’hui vers un second titre de champion du monde, l’autre a compris qu’il n’était plus incontournable et que son futur coéquipier était désormais le numéro 1 chez Yamaha. Il n’y aura plus de mur dans le garage et l’ambiance devrait donc être plus paisible qu’il y a deux ans. À moins que Rossi surprenne tout le monde en parvenant à se battre régulièrement pour la victoire avec son coéquipier…
Sylvain : Alvaro Bautista a signé un beau GP mais j’ai entendu dire qu’il pourrait se faire remplacer l’an prochain par Jonathan Rea qui ferait le chemin inverse du SBK vers le MotoGP. Savez-vous si quelque chose a été décidé à son sujet ?
M. T. : Ces deux pilotes sont en effet aujourd’hui en concurrence pour la place de quatrième et dernier pilote Honda. Rea aura jusqu’au retour de Stoner pour faire ses preuves. Bautista a effectivement fait une belle course à Misano, mais cela risque de ne pas lui suffire pour sauver sa tête. Honda compte en effet déjà dans ses rangs deux Espagnols avec Pedrosa et Marquez. De plus, le patron de San Carlo qui était très proche de Marco Simoncelli a annoncé à Gresini que son budget allait sérieusement diminuer. On peut par ailleurs imaginer que Honda, et plus particulièrement sa filiale britannique, soit plus enclin à soutenir Jonathan Rea, histoire de faire face à la présence de Cal Crutchlow et Bradley Smith chez Yamaha.