Alain Chevallier : « Burgess et Rossi ont fait beaucoup de tort à Ducati ! »
Au détour d’une visite chez Tech3, à Assen, nous avons eu la chance de rencontrer Alain Chevallier et l’occasion était belle de lui poser certaines questions.
Nous commençons donc ici notre série d’articles consacrés à ce génial constructeur dont les motos ont remporté, à plusieurs reprises, des épreuves du championnat du monde.
C’est notamment sur une de ses machines qu’en 1982, le dernier vainqueur belge de Grand Prix, Didier de Radiguès, à gagner le Grand Prix de Yougoslavie, d’Italie et de Tchécoslovaquie, en 350cc.
Nous n’avons pas pu résister à la tentation de demander au concepteur de moto ce qu’il pensait de Ducati et de son passage à l'aluminium.
« Chez Ducati, ça fait un peu désordre ! C’est évidemment difficile d’avoir une opinion bien tranchée car, en réalité, on ne sait pas ce qu’ils font.
Par contre, par rapport à ce qu’on sait, on peut tout de même se permettre quelques remarques. Ainsi, ça fait des mois qu’on parle d’un problème de châssis mais, en définitive, ils en ont réalisé de toutes les formes sans jamais trouver de grandes améliorations, ce qui tend à démontrer que le problème vient du moteur.
C’est un peu la même problématique que celle de la Honda. Elle a toujours été compliquée à mettre au point parce que le moteur est plus puissant. Depuis des décennies, Yamaha réalise des moteurs un petit peu moins puissants et on a souvent entendu dire que si on mettait le moteur de la Honda dans le châssis de la Yamaha, on obtiendrait la meilleure moto.
Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne ! La Yamaha est un ensemble où le châssis et le moteur sont faits pour aller l’un avec l’autre.
La Ducati a toujours eu la moto la plus rapide mais je pense que ce moteur puissant n’aide pas à la tenue de route.
Mais alors, avec leur choix de passer au châssis périmétrique en aluminium, il ne fallait pas s’attendre à ce que ça marche en cinq ou six Grands Prix. C’était impensable qu’ils puissent concurrencer, aussi vite, les japonais alors qu’ils ont une expérience de trente ans dans ce domaine.
Mais alors, que fallait-il faire ?
« Le châssis tubulaire arrivait clairement au bout de son développement alors ils sont passés au carbone et là, il y avait énormément de choses à trouver et à développer.
Ils étaient arrivés à quelque chose de pas mal, qui avait déjà gagné des Grands Prix. Casey s’y était certainement mieux adapté que Valentino, probablement parce que le retour d’information entre ce type de machine et une machine typée japonaise est très différent, ce qui a dû perturber l’Italien.
Je ne pense pas que c’était opportun de jeter à la poubelle ce concept ».
Ils ont pourtant essayé énormément de choses sur ce châssis, sans grand succès !
« Justement, le fait d’essayer autant de choses aboutit à ce que le pilote ne dispose plus des repères dont il a besoin pour aller vraiment à la limite et donc, il est continuellement largué et à la ramasse.
Mais je pense qu’ils auraient dû garder le carbone car ils avaient une identité propre et en tout cas, différente de celle des japonais. Ils étaient sur la bonne voie, ils avaient trouvé des choses intéressantes et c’était aussi un réel défi technologique !
C’est dommage d’avoir dû l’abandonner sous la pression médiatique et c’est évident qu’ils regrettent d’avoir été obligés de le faire. Je pense que c’est une erreur de Rossi et de son entourage ».
Rossi a fait confiance à son équipe et ça n’a pas manqué de provoquer d’énormes frictions entre Burgess et Borgo Panigale, était-ce une erreur pour l’Italien d’arriver chez Ducati avec toute son équipe ?
« Je ne veux pas accuser Burgess parce qu’il est là pour faire avancer les choses mais, quoi qu’il arrive, il n’avait pas tous les éléments en sa possession pour pouvoir décider quelle direction était la meilleure. Son job consiste à faire marcher la moto qu’on lui donne. Ce qui me choque, c’est quand l’équipe technique met en doute les choix de l’équipe de conception de la machine parce qu’elle n’est pas nécessairement au courant du pourquoi de ces choix techniques.
Et, évidemment, lorsque Burgess et Rossi ont critiqué le système Ducati, leur poids médiatique était tellement énorme, que Borgo Panigale a dû obtempérer et changer son fusil d’épaule.
Dans ce sens, Burgess et Rossi ont fait beaucoup de tort à Ducati ! »
Mais comment la direction de Ducati a-t-elle pu donner raison à Rossi et Burgess et, en quelque sorte, désavouer Preziosi et son équipe ?
« L’équipe technique n’a certainement pas réussi à démontrer la pertinence de ses choix et on peut même penser que jusqu’il y a peu, elle n’avait pas non plus réussi à identifier le vrai problème sur la machine qui, plus que jamais, semble être le moteur.
Alors, lorsque votre pilote pèse autant de millions d’euros, et qu’il a neuf titres de champion du monde, vous avez tendance à le croire lui plutôt qu’une équipe technique qui tâtonne ».
Demain, Alain Chevallier vous parlera de Valentino Rossi en tant que pilote…