GP du Qatar - Les réponses de Michel Turco @MR
L’ouverture du championnat du monde MotoGP se tenait sur le circuit de Losail au Qatar le week-end dernier. À l’occasion de ce GP remporté par Jorge Lorenzo, vous avez pu poser vos questions à notre envoyé spécial, Michel Turco. Voici ses réponses.
Le premier départ de la saison et de nombreuses interrogations toujours en suspens. © Jean-Aignan Museau
Pierre : N’est-ce pas risqué , voire « casse-gueule » de la part de Johann Zarco, d’avoir choisi la seule équipe roulant avec un cadre Motobi avec comme conséquence peu de retours et de partage d’information et dès lors une évolution au ralenti du matériel ?
Michel Turco : Voilà une bonne remarque. Effectivement, en s’engageant avec une Motobi, en réalité un châssis japonais TSR, Johann Zarco a pris le risque de découvrir le Moto2 avec une machine qu’il est le seul à utiliser. Cela ne lui permet pas de s’étalonner sur d’autres pilotes, ni de comparer ses réglages avec d’autres. Il lui est par ailleurs plus difficile d’obtenir des évolutions, faute de retour d’infos suffisant. Johann et son manager Laurent Fellon ont pris la décision de s’engager avec Gianluca Montiron au cours de l’été dernier, peut-être auraient-ils dû attendre d’avoir d’autres propositions qui n’auraient certainement pas manqué compte tenu des performances alors affichées par Johann. A côté de ça, Alex De Angelis a prouvé l’an passé que le châssis TSR était performant, et comme les moteurs et les pneus sont identiques à la saison dernière, il n’y aucune raison pour que la Motobi ne permette pas à Johann de briller.
Jean-Pierre : Une question simple : où en sont vraiment les Ducati ?
M. T. : S’il est difficile, vu de l’extérieur, de situer le niveau réel de la GP12, force est de constater que l’équipe Ducati pédale actuellement dans la semoule. Rossi a entraîné Filippo Preziosi sur un terrain où le patron du service course italien ne voulait pas aller, à savoir utiliser un cadre périmétrique en aluminium comme le font tous les constructeurs japonais, et la tension entre les deux hommes ne fait que croître. Rossi et Burgess sont désormais persuadés que le problème de la GP12 vient de son moteur, ce que réfute Preziosi. Ce dernier est accusé par les deux premiers ne n’en faire qu’à sa tête et de changer sans arrêt les réglages de la moto. Entre les deux, Hayden essaie de placer ses billes avec une machine qui lui convient certainement mieux que Rossi. L’Américain aimant piloter avec l’arrière de la moto alors que Rossi a toujours guidé ses machines avec l’avant.
Arnaud : Rossi a imposé une moto à Ducati et continue toujours de sombrer dans les classements. Le problème vient-il vraiment de Ducati ? Ou Rossi est-il vraiment fini ? Surtout lorsque l'on voit que Hayden s'en sort vraiment mieux tout comme les équipes satellites.
M. T. :Comment souvent, la vérité se situe quelque part entre ces deux suppositions. Que la Ducati ne soit pas au niveau des Yamaha et des Honda, c’est une certitude. L’a-t-elle d’ailleurs été depuis le titre de Casey Stoner en 2007 ? Sans le phénomène australien, la Desmosedici n’aurait peut-être rien gagné, et qui sait si Ducati n’aurait pas décidé, comme Aprilia, Kawasaki et Suzuki, de se retirer du MotoGP. Ce que Rossi rêve de faire de la GP12 relève aujourd’hui de l’impossible. Cette moto ne pourra jamais fonctionner comme une Japonaise, histoire de moyens mais surtout de culture. Au Ducati Corse, c’est Filippo Preziosi qui fait la pluie et le beau temps. C’est lui qui décide et impose des choix qu’il a toujours aimé prendre à l’encontre des idées reçues. Rossi le juge aujourd’hui trop éloigné de la réalité du terrain, enfermé dans son château narcissique entouré de ses dogmes. Deux clans se sont formés dans l’équipe italienne, et on ne voit pas comment les deux parties pourront éviter le clash à un moment ou un autre. Pour autant, Valentino Rossi est tout à fait conscient du fait qu’il n’est plus aujourd’hui celui qui conquit en 2009 son neuvième titre de champion du monde, le septième en 500/MotoGP. À 33 ans, il n’a plus la même fougue que Stoner et Lorenzo. Il reconnaît également qu’il lui est plus difficile que ses jeunes adversaires de s’adapter aux changements. Il a évidemment compris qu’il ne faisait plus parti des favoris, et il lui reste désormais à trouver la porte de sortie. Rien ne dit que ça ne sera pas avant la fin de la saison…
Jean-Christophe : Durant toute la saison 2011 tout le monde, pilotes et journalistes, a tapé sur les 800 en les accusant d'être à l'origine de courses peu disputées. A force d'analyses techniques, on a copieusement spéculé sur l'avenir meilleur que promettait le passage à 1000cc. Résultat, cet hiver, Stoner dit que les motos se pilotent de la même façon, à peu de choses près. Et la première course est à l'image de la saison 2011. Trois pilotes devant qui font leur course comme des robots programmés, sans possibilité de changer de rythme. Ils se croisent plus qu'ils ne se doublent. Seul point positif, les Yam sont plus proches des Honda. Quant aux Ducati, c'est pareil que l'an passé. Bref on est parti vers une saison aussi chiante que l'an dernier... ou pas ? C'est la question !
Par contre en Moto2 quelle course ! La Dorna aurait raison alors ? Vive les CRT ? Quant à Marquez, quel phénomène. Après une telle intersaison, ce gars-là a décidément l'étoffe d'un très grand. La course au titre sera ouverte, mais ne s'est-il pas imposé comme le grand favori, étant donné qu'il ne pouvait pas prétendre au même degré de préparation que ses adversaires ?
M. T. : Avec 200 cm3 de plus et la nouvelle génération de pneus Bridgestone, les nouvelles MotoGP sont, de l’avis de tous les pilotes, plus faciles à emmener. Surtout, ces nouvelles motos pardonnent davantage les petites erreurs que les 800. Cal Crutchlow est l’exemple même de ce qu’ont amené ces changements. Avec tout cela, la saison 2012 devrait être plus passionnante que l’an dernier. Cela étant dit, il y a une chose que l’on ne changera pas, c’est le niveau des pilotes. Stoner, Lorenzo et Pedrosa évoluent aujourd’hui à un niveau très supérieur à la moyenne. Si on les mettait en Moto2, ces trois-là seraient devant. Mais peut-être ne finiraient-ils pas la course avec quinze secondes d’avance comme ce fut le cas au Qatar. Voilà bien ce qui fait le succès du Moto2 : des motos proches les unes des autres et dont le maniement n’est pas réservé à des extra-terrestres. Au final, cela donne des courses extrêmement disputées où les meilleurs gagnent, mais très souvent sur le fil. Si demain, le MotoGP se dispute uniquement avec des CRT, gageons que nous aurons le même spectacle qu’en Moto2.
Olivier : Comment se fait-il que Marc Marquez n'ait pas pris de pénalité pour son geste inconcevable sur Lüthi ? Serait-ce parce qu'il est Espagnol ? Ou bien Lüthi n'a pas porté réclamation ?
M. T. : Le dépassement de Marquez aurait au moins mérité un avertissement, d’autant qu’il fut précédé d’incidents qui ont déjà valu au pilote espagnol quelques remontrances. Daniel Epp, le patron du team Interwetten, a porté réclamation. On lui a répondu que la manœuvre pouvait être considéré comme virile mais correcte. Peut-être que la direction de course a jugé qu’après les déboires qu’il a traversés cet hiver, Marquez ne méritait pas d’être pénalisé le jour où il renouait avec la victoire…
Marc : Comment peut-on expliquer les gros (énormes) écarts de temps à l'arrivée entre les pilotes "prototype" ? On imaginait un gouffre entre proto et CRT, en fait, le gouffre se mesure entre les 3 premiers et ... les autres…
M. T. : Tout simplement, comme je l’ai dit plus haut, parce que Stoner, Lorenzo et Pedrosa sont aujourd’hui les trois meilleurs pilotes du MotoGP, et qu’ils connaissent leur machine sur le bout des doigts, ce qui n’est pas encore le cas de tout le monde.