Interview ultra intéressante de Claude Danis, monsieur sécurité de la FIM
L’image que nous avons en tête de Claude Danis, est celle d’un homme abattu et marqué, lors de la conférence de presse annonçant le décès de Marco Simoncelli .
Quand on est le Monsieur sécurité de la FIM, on passe sa vie à travailler pour protéger la vie de ceux qui nous offre, à tous, le grand spectacle des deux roues. Alors imaginez-vous ce qu’a pu représenter, pour lui, le décès de ce jeune pilote !
Nous avons abordé ensemble deux sujets distincts, et c’est pourquoi nous vous les livrerons en deux parties.
Dans la première, celle que vous lisez actuellement, nous reviendrons sur l’accident de Super Sic, l’arrivée de Capirossi au sein de la commission sécurité et nous aborderons aussi le danger dû à la différence de vitesse entre CRT et MotoGP.
Dans la seconde, à paraître demain, nous ferons le tour de la question de la sécurité sur les nouveaux circuits et les difficultés de concilier F1 et MotoGP. Mais bien entendu, Claude Danis étant Belge, nous ne pouvions pas manquer de lui demander son point de vue sur le circuit de Francorchamps et le moins qu’on puisse vous conseiller, c’est de bien vous accrocher !
GPI : L’écart entre CRT et MotoGP, à Sepang, était relativement conséquent. Evidemment, c’est un circuit très long mais malgré tout, cinq secondes d’écart, pour la plus rapide d’entre elles, celle de Colin Edwards, ça reste énorme. Avez-vous des craintes pour la sécurité des pilotes ?
« Non pas encore, je pense qu’il faut se donner le temps car ce n’était que le premier passage des CRT sur ce circuit et c’était aussi la première fois qu’elles étaient en comparaison avec les prototypes MotoGP. Il y a donc encore énormément de développements à réaliser, non seulement sur les moteurs mais aussi sur les châssis. Je pense donc qu’il est trop tôt pour tirer de grandes conclusions. C’est clair qu’il y aura un écart, c’est évident et attendu mais je pense aussi qu’il va se réduire, dans une large mesure, dans les quelques semaines qui vont suivre ».
GPI : Pour le haut du plateau des CRT, dont les ART d’Aprilia feront certainement partie, ça ne devrait effectivement pas poser trop de problèmes. On a d’ailleurs vu que Randy de Puniet, hier à Jerez, a tourné plus vite qu’Abraham, mais par contre, toutes les CRT risquent de ne pas être logées à la même enseigne !
« Oui c’est certain, mais je ne pense pas que ça créera pour autant un problème de sécurité. Si on se rend compte que cette différence de vitesse met en jeu la sécurité des pilotes, on prendra alors les mesures nécessaires.
Mais bon, les coureurs sont des pilotes professionnels, ils ont l’habitude de parler entre eux et d’expliquer leurs désidératas.
Il est clair que le pilotes CRT, du moins certains, sont des pilotes de moindre qualité que les « top pilotes » MotoGP, mais je demeure convaincu qu’ils pourront adapter leur pilotage en conséquence ».
GPI : Revenons un instant sur l’accident qui a coûté la vie à Marco Simoncelli. Certaines personnes ont absolument cherché à trouver un coupable. Quel est votre point de vue sur cette tragédie ?
« La mort de Marco est une pure fatalité. Nous avons accompli énormément de progrès au niveau de la sécurité sur les circuits et aussi sur la protection des coureurs au niveau des équipements mais là, dans ce cas précis, on peut parler de fatalité.
Si cet accident se passe deux ou trois tours plus tard, à tous les coups, le résultat aurait été différent. Dans ce cas, il s’est déroulé au début de la course, au moment où les pilotes étaient en paquet et ni Edwards, ni Rossi, n’auraient pu éviter la collision ».
GPI : Dans le groupe sécurité, vous pouvez maintenant compter sur Loris Capirossi. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
« L’arrivée de Loris est une excellente idée et une excellente nouvelle parce que tout d’abord, il a plus d’expérience que n’importe qui !
Pour l’instant, il va surtout concentrer son travail sur les pneumatiques, un domaine où nous avons rencontrés de nombreux soucis en 2011 et aussi sur les vêtements de sécurité.
Sur la partie sécurité des circuits, il n’y a pas énormément de problèmes car nous travaillons toujours en étroite collaboration avec les pilotes et il était un de ceux qui s’impliquait énormément sur le sujet. Il sait donc comment les choses fonctionnent.
C’est vraiment très important de pouvoir compter sur la présence d’une personne comme lui dans le groupe sécurité ». Comme nous vous l’annoncions dans le début de cet article, nous aborderons demain la sécurité sur les nouveaux tracés qui envisagent d’accueillir le championnat du monde et nous analyserons également la situation de Francorchamps qui, par un ensemble de mauvaises décisions, n’a peut-être plus du plus beau circuit du monde, que le nom…en tout cas pour les motards!
Seconde partie de l’interview consacrée à Claude Danis, le Monsieur sécurité de la FIM. En tant que citoyen belge, nous ne pouvions manquer de lui poser la question qui fait bouillir tous les motards de Belgique, celle du retour d’un Grand Prix de Francorchamps.
Comme vous pourrez le constater dans les lignes qui suivent, le constat est quelque peu pathétique ! Les politiciens belges ont géré ce circuit en parfaits amateurs, ruinant de la sorte les chances d’un retour du MotoGP, dans le cadre verdoyant du circuit de Spa Francorchamps.
Nous avons également parlé de la sécurité sur les circuits en construction un peu partout dans le monde et là aussi, le gouffre séparant certains nouveaux circuits et le tracé belge, ne fait qu’augmenter et en conséquence diminuer les chances de revoir les motos dessus.
GPI : Où en est-on à Francorchamps ?
En ce qui me concerne, puisque j’ai été le dernier directeur de course du Grand Prix moto à Francorchamps et que, forcément, c’est ma passion et que je suis Belge, c’est une grande frustration pour moi de constater que la situation actuelle ne permet plus d’organiser des courses de haut niveau à Spa.
J’ai dit plusieurs fois, lors de mes passages pour des inspections relatives à des courses d’endurance, qu’il fallait une concertation mais malheureusement, les autorités ont fait le choix politique d’axer tout sur la F1. Même s’ils prétendent le contraire, il est évident qu’ils se foutent éperdument de la moto, ils n’ont d’ailleurs jamais consulté la FIM jusqu’il y a quatre ans d’ici.
Ce qui est aberrant dans cette histoire, c’est que le responsable de la sécurité de la FIM est Belge et qu’ils ne m’ont donc jamais consulté avant qu’il ne soit trop tard.
Ils ont donc apporté toute une série d’améliorations en ignorant royalement la FIM jusqu’il y a quelques années où ils se sont rendus compte que c’était de plus en plus difficile de garder la F1 et que le MotoGP prenait de plus en plus d’importance.
Là ils ont tenu compte de mon avis et ils ont modifié quelque peu le circuit dans l’optique de la moto.
Mais c’est bien avant qu’ils auraient dû nous donner du crédit car au fil des années, nous sommes arrivés à une situation où les travaux à réaliser sont énormes. Si petit à petit, on avait fait le nécessaire ou si, on avait adopté une vision sur le long terme, en se disant que peut-être un jour, on devrait partir dans des directions différentes, la charge de travail aurait été moins importante.
Mais attention, cette situation n’est pas l’unique apanage de Spa-Francorchamps, c’est aussi le cas dans d’autres pays où on a construit sans tenir compte de l’avis de la FIM.
Pour ces circuits, comme pour le tracé Belge, des solutions existent mais moyennant des coûts énormes !
GPI : Vous confirmez donc que les travaux à réaliser, à Francorchamps, pour la moto, sont énormes ?
Ah oui, ça c’est clair ! Les travaux nécessaires à Francorchamps sont très conséquents parce qu’il ne faut pas perdre de vue que, pendant qu’on organisait les Grands Prix de F1, la sécurité sur les autres circuits a évolué elle aussi et l’écart s’est creusé.
GPI : On se doute aussi que pour les circuits qui sortent de terre, la situation sécuritaire est d’entrée optimale ?
Détrompez-vous, la plupart de ces circuits sont d’abord créés pour la F1 et puis, après la première course, les responsables se disent qu’ils y feraient bien de la moto. Et là, c’est trop tard, c’est à priori qu’il faut consulter la FIM. C’est par exemple le cas d’Abu Dhabi ou de Seoul où la situation est catastrophique en ce qui concerne la moto.
C’était aussi le cas à Moscou où on a commencé les travaux sans nous consulter. Ils ont, maintenant, rectifié quelque peu le tir sous mes recommandations.
J’ai parfois eu des conversations téléphoniques surréalistes pour quelqu’un qui s’occupe de moto. Bien entendu, pour des gens qui ne s’occupent que de la voiture c’est plus ou moins compréhensible, mais je vous en parle parce qu’à mon sens, ça illustre bien la situation.
Les gens me téléphonent, c’était notamment le cas pour Singapour, et me disent, « on va construire un circuit, nous avons un plan et il est approuvé par la FIA, donc s’il est approuvé pour la F1, ça doit être bon pour le MotoGP ! », j’ai répondu « Monsieur, on court dans la ville à Valence, à Monaco et chez vous maintenant, mais jamais, une moto ne mettra une roue sur un de ces trois circuits ! ».
La culture F1, ancrée dans notre société, fait que les gens pensent que, si c’est bon pour la reine F1, c’est alors évidemment bon pour la moto, mais c’est tout l’inverse dans la réalité, puisque la vérité est toute autre…si c’est bon pour la moto alors ça devrait être bon pour la voiture ! Ce serait bien que cette idée reçue cesse.
GPI : Mais alors, les dix-huit circuits au calendrier, sont-ils les seuls à pouvoir accueillir un Grand Prix moto ?
Non pas du tout. Je ne connais pas tous les circuits du monde mais par exemple, Delhi, en Inde, peut, avec quelques modifications mineures, recevoir un Grand Prix, c’est aussi le cas de Moscou puisqu’ils vont faire le nécessaire.
Il y a également l’Argentine, le Brésil qui veut construire un circuit, Austin…
GPI : Pour en revenir à Francorchamps, nous trouvons tout de même la situation cocasse et l’incompétence des politiques belges, à ce niveau, n’est plus à démontrer. Quel est votre point de vue?
La Belgique a fait un choix politique et en conséquence, jamais un seul politicien ne m’a demandé ce qu’il y aurait lieu de faire, concrètement et avec une ferme intention d’y parvenir, pour revoir le MotoGP à Francorchamps.
C’est dommage et le citoyen Danis ajouterait même qu’il est un contribuable comme tous les autres, qu’il paye ses taxes et qu’il aimerait ne pas les payer uniquement pour renflouer les trous créés par la F1. C’est frustrant quelque part pour moi, grand passionné de moto, qu’on utilise mon argent pour les voitures en disant, « nous les motos on s’en moque ! ».
GPI : Mais comment a-t-on pu en arriver là ?
"J’ai été le directeur de course du dernier Grand Prix de Francorchamps, celui qui a été organisé par Ecclestone et malheureusement, ce jour-là, les responsables n’ont pas vu la balle venir ! C’était pourtant cousu de fil blanc !
Quand on connaît l’histoire de la F1, on savait d’avance que l’arrivée d’Ecclestone, comme promoteur, avait pour but de liquider le Grand Prix moto et donner sa place à la F1.
Il a organisé la course le samedi plutôt que le dimanche, ce qui n’était jamais arrivé en Belgique. Pour vous dire, des spectateurs sont même venus le dimanche alors que tout était terminé.
Je me souviens, le jour de l’ascension j’étais allé à une réunion et on nous avait distribué les affiches de l’évènement, j’avais alors précisé qu’il serait peut-être intéressant de préciser dessus que la course se déroulerait le samedi et pas le dimanche.
Le but était de tuer la moto à Spa, c’est ce qu’ils ont fait et personne n’a réagi. La F1 avant tout ! Mais maintenant la F1 partira peut-être un an sur deux…c’est dommage de ne pas avoir senti le coup venir !
A chaque fois qu’un circuit à une connexion trop étroite avec les politiciens, c’est difficile à gérer puisque les patrons, en gros, changent tout le temps. Tout ça empêche une politique de gestion sur le long terme.
Ici, comme dans certains pays, ils ont signé un contrat extraordinaire avec Ecclestone car s’ils n’organisent pas le Grand Prix, ils doivent tout de même payer la redevance et donc quand ils disent qu’ils n’ont perdu que cinq millions, c’est vrai, car s’ils n’organisaient pas l’évènement, ils en perdraient dix-sept !
C’est invraisemblable et jamais un homme d’affaire ne signerait un tel contrat ! C’était juste une démarche politique…"
GPI : C’est donc dommage d’avoir loupé l’étape qui aurait pu rendre le plus beau circuit du monde accessible à la moto !
"C’est surtout le plus beau circuit du monde pour celui qui ne connaît que celui-là ! C’est bien là le problème de nos politiciens. Ils ont toujours vécu sur cette étiquette de « plus beau circuit du monde ». Je les ai souvent entendus dire que quoi qu’il arrive, les pilotes aiment bien de venir à Spa et que donc on peut se tranquilliser.
Mais ça, pour la moto, c’était vrai il y a vingt ans. J’entends encore parfois des journalistes ou des anciens pilotes en parler mais à part ça, plus personne n’en parle !
Mis à part Stoner, qui dernièrement a fait une sortie là-dessus, parlez-en à Rossi, à Pedrosa, vous verrez leur réaction. Si je leur demande d’effectuer un tour sur le circuit, ils fermeront les yeux et me demanderont si je suis devenu fou !"
Voilà donc où le circuit de Spa Francorchamps en est et nous nous permettons de tirer une conclusion sans y associer Claude Danis et dont nous prenons l’entière responsabilité.
Il y a de ça quelques semaines, avec un groupe de personnes proches de GP-Inside, nous avions constitué un véritable dossier de lancement de projet pour, en concertation avec le cabinet du Ministre Wallon de l’économie, organiser une vraie réflexion sur l’avenir du circuit et dont le but était, à terme, de ramener la compétition moto de haut niveau sur le circuit spadois.
Après une première réunion à Namur, l’optimisme était de mise et les hautes instances de la DORNA voyaient cette initiative d’un très bon œil.
Malheureusement, depuis lors, nous avons fourni tous les renseignements utiles mais tous nos mails sont restés lettre morte !
Tout ça pour dire que la Belgique a misé gros sur Ecclestone, le fossoyeur de la moto en Belgique (et ailleurs dans le monde) pour donner la place à la F1, mais maintenant que le fossoyeur regarde de plus en plus vers le Moyen-Orient et que se débarrasser de Francorchamps serait pour lui un grand soulagement, que va-t-il rester aux politiciens ?